Alors que la situation sécuritaire continue de se détériorer dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), l’ancien président Joseph Kabila refait progressivement surface sur la scène politique. Ses proches affirment qu’il ambitionne de reprendre en main un pays en proie au « chaos », dont il attribue la responsabilité au président Félix Tshisekedi.
Ce retour, qui intervient dans un contexte marqué par l’offensive du M23 soutenu par le Rwanda, les tensions avec les partenaires internationaux et la crise économique, soulève de nombreuses interrogations : Kabila souhaite-t-il réellement briguer à nouveau la magistrature suprême en 2028 ? Cherche-t-il plutôt à peser sur l’échiquier politique en coulisses ? Peut-il encore mobiliser l’opinion après plusieurs années de silence ?
Un retour stratégique sur le devant de la scène
Depuis son départ du pouvoir en janvier 2019, Joseph Kabila s’était imposé une certaine réserve, limitant ses apparitions et prises de parole. Après avoir gouverné le pays pendant 18 ans (2001-2019), il s’était retiré sur sa ferme de Kingakati, loin de l’agitation politique de Kinshasa. Cependant, dans un contexte où les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, continuent leur progression dans l’Est du pays, l’ancien chef de l’État semble vouloir se repositionner comme un recours politique.
Ses proches annoncent une volonté claire : reconquérir le pouvoir par la voie démocratique. Emmanuel Ramazani Shadary, secrétaire permanent du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), a affirmé le 20 février à Jeune Afrique :
« Notre objectif est de reconquérir démocratiquement le pouvoir en RDC. »
Un message fort, qui s’inscrit dans une stratégie de réorganisation du PPRD, le parti fondé par Joseph Kabila et qui a dominé la scène politique congolaise pendant près de deux décennies.
Le PPRD en ordre de bataille
Depuis quelques semaines, Joseph Kabila multiplie les consultations avec les cadres de son parti, préparant minutieusement son retour sur la scène politique nationale. L’un des premiers signes concrets de cette ambition a été la reconduction de Ramazani Shadary dans ses fonctions de secrétaire permanent du PPRD, une décision prise directement par Kabila lui-même.
Ce retour à l’organisation interne du parti vise à remobiliser les militants, mais surtout à reconstruire une base politique solide après plusieurs années de turbulence. En effet, depuis la fin du régime Kabila, le PPRD a perdu en influence, notamment après la rupture de l’alliance avec Félix Tshisekedi en 2020. De nombreux cadres ont quitté le parti, certains rejoignant l’Union sacrée du président en exercice, d’autres se mettant en retrait.
Aujourd’hui, Joseph Kabila veut repositionner son parti comme la principale force d’opposition en RDC, face à un pouvoir qu’il juge « inefficace et incapable de garantir la sécurité du pays ».
Un contexte politique et sécuritaire explosif
Le retour progressif de Joseph Kabila intervient alors que le pays traverse une crise sécuritaire majeure.
- La rébellion du M23, soutenue par le Rwanda, ne cesse de gagner du terrain, semant le chaos dans l’Est du pays.
- Les forces armées congolaises (FARDC) peinent à contenir l’offensive, et des manifestations éclatent dans plusieurs villes pour dénoncer l’inaction du gouvernement.
- La pression internationale s’accentue sur Kigali, avec des sanctions américaines et européennes contre des responsables rwandais accusés de soutenir le M23.
- Sur le plan économique, la RDC fait face à une inflation galopante et une baisse du pouvoir d’achat, alors que les attentes des populations en matière de développement restent élevées.
Dans ce climat tendu, Kabila et son camp affirment que le pays est mal dirigé, ce qui justifierait son retour dans l’arène politique. Selon ses proches, l’ancien président estime que Félix Tshisekedi a plongé la RDC dans le chaos et que seul un leadership expérimenté peut sortir le pays de cette crise.
Quels scénarios pour l’avenir ?
L’émergence de Joseph Kabila sur la scène politique ouvre plusieurs hypothèses quant à ses véritables intentions :
- Un retour en 2028 ?
- L’ancien président pourrait préparer une candidature pour l’élection présidentielle de 2028, espérant capitaliser sur l’insatisfaction populaire à l’égard du régime actuel.
- Il pourrait s’appuyer sur les réseaux qu’il a maintenus dans l’armée, l’administration et le secteur économique, ainsi que sur les frustrations croissantes face aux promesses non tenues de Félix Tshisekedi.
- Un renforcement de l’opposition ?
- Le PPRD pourrait chercher à former une coalition avec d’autres forces politiques, notamment des figures comme Moïse Katumbi, qui a lui aussi pris ses distances avec Tshisekedi.
- Une alliance anti-Tshisekedi pourrait voir le jour, rassemblant des acteurs issus de divers horizons mais partageant une opposition commune au pouvoir actuel.
- Un jeu d’influence en coulisses ?
- Joseph Kabila pourrait également choisir de manœuvrer en arrière-plan, soutenant un candidat de son choix tout en consolidant son influence sur les institutions du pays.
- Cette approche lui permettrait de rester une figure incontournable du paysage politique, sans forcément s’exposer à une nouvelle campagne présidentielle.
Une RDC en quête de stabilité
Le retour de Joseph Kabila sur la scène politique pourrait redessiner les rapports de force en RDC. Toutefois, son passé à la tête du pays (2001-2019), marqué par des controverses et des contestations, reste un facteur déterminant pour l’avenir de son projet politique.
Pour certains, Kabila représente la stabilité et l’expérience, face à un régime actuel jugé faible et divisé. Pour d’autres, son retour serait synonyme de régression et de remise en cause des efforts de démocratisation entrepris depuis 2019.
Kabila peut-il encore séduire l’électorat ?
Plusieurs défis se posent à l’ancien président :
- Mobiliser les jeunes générations, qui n’ont pas connu d’autre dirigeant que lui avant 2019 et qui pourraient être tentées par des figures plus modernes.
- Rebâtir une image positive, après des années de critiques sur la gestion des droits de l’homme, de la corruption et de la sécurité sous son régime.
- Faire face aux divisions internes, car même au sein de son propre camp, certains doutent de sa capacité à incarner l’avenir du pays.
Conclusion : Un come-back risqué mais stratégique
Alors que la RDC traverse une période critique, Joseph Kabila semble prêt à sortir définitivement de l’ombre et à réinvestir le terrain politique.
S’il parvient à fédérer une opposition forte, son influence pourrait grandement peser sur les prochaines échéances électorales. Toutefois, son retour ne sera pas sans obstacles, entre critiques internes, tensions sécuritaires et incertitudes sur son véritable projet.
Une chose est sûre : l’ancien président est de retour, et son ombre plane à nouveau sur l’avenir politique de la RDC.
