Goma, janvier 2025. Ce jour-là, les habitants de la capitale du Nord-Kivu se sont réveillés au son des tirs, des bombardements, et d’une vérité brutale : leur ville, longtemps considérée comme le dernier bastion stratégique de l’Est congolais, venait de tomber. Mais ce n’est pas une nouvelle guerre qui a commencé ce jour-là. C’est l’aboutissement d’un plan méticuleusement préparé depuis des années, au croisement des intérêts d’un ancien président, d’un régime voisin et d’un homme qui, autrefois, incarnait l’autorité électorale nationale.
Du président de la CENI au chef rebelle : la métamorphose de Corneille Nangaa
Entre 2015 et 2021, Corneille Nangaa occupait le poste de président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Il apparaissait sur les écrans comme un homme de loi, un technocrate au service des institutions. Ce que personne ne voyait alors, c’est que son départ n’a pas marqué la fin de son influence politique — mais plutôt le début d’un projet autrement plus violent.
En décembre 2023, dans une annonce qui a choqué l’opinion, Nangaa crée une coalition politico-militaire appelée Alliance Fleuve Congo (AFC). Derrière le discours d’unité et de réconciliation, cette alliance regroupe des mouvements armés actifs à l’Est de la République, dont le M23, déjà tristement célèbre pour ses crimes passés.
Dès janvier 2025, l’AFC lance une opération militaire coordonnée. Le 27 janvier, Goma tombe. La ville n’a pas été conquise : elle a été livrée. La complicité de plusieurs acteurs de l’intérieur, y compris dans les cercles politiques de Kinshasa, a facilité cette prise.
Une ville stratégique, un symbole sacrifié
Pourquoi Goma ? Parce que cette ville est bien plus qu’un carrefour commercial. Elle incarne la présence de l’État congolais à l’Est. Son occupation par les forces rebelles envoie un message fort : le pouvoir central a perdu le contrôle.
Mais au-delà du symbole, il y a la stratégie. Goma, c’est l’accès aux minerais, aux routes commerciales vers le Rwanda et l’Ouganda, et aux grandes voies logistiques régionales. L’AFC l’a compris. Et ceux qui la soutiennent depuis les capitales étrangères aussi.
Kabila, Kagame et la diplomatie de l’ombre
Derrière l’émergence militaire de Corneille Nangaa, des noms reviennent avec insistance : Joseph Kabila et Paul Kagame.
Selon plusieurs sources gouvernementales, l’ancien président congolais Joseph Kabila serait l’un des principaux architectes de l’AFC. En mai 2025, le gouvernement a officiellement demandé la levée de son immunité parlementaire pour pouvoir l’entendre dans une procédure liée à des crimes de guerre et soutien à des groupes armés. Cette démarche sans précédent montre à quel point le régime actuel considère l’implication de Kabila comme une menace existentielle.
Du côté du Rwanda, le président Paul Kagame continue de nier tout soutien au M23. Mais les faits sur le terrain — armement moderne, logistique sophistiquée, et coordination militaire — indiquent clairement une implication extérieure. Kigali voit dans l’Est du Congo un prolongement stratégique de sa propre sécurité et de son économie, notamment pour l’exploitation des ressources minières.
Une condamnation symbolique, une guerre bien réelle
En août 2024, la justice congolaise condamne Corneille Nangaa à mort par contumace pour trahison, crimes de guerre et atteinte à la sécurité de l’État. Une condamnation qui reste, à ce jour, purement symbolique : l’homme continue de circuler librement, de donner des interviews et de diriger des opérations militaires.
Le gouvernement congolais, acculé, met sa tête à prix pour 5 millions de dollars. Mais la capture de Nangaa semble hors de portée, tant ses soutiens sont puissants et ses positions protégées.
Goma saigne, l’Est s’effondre
Le bilan de la prise de Goma est catastrophique : plus de 2 800 morts, des milliers de blessés, des familles entières déplacées, et une ville transformée en zone fantôme. Des pillages massifs ont été signalés, des institutions publiques saccagées, et des centaines de véhicules saisis.
L’économie locale s’est effondrée en quelques jours. Les banques ont fermé, les commerces ont été contraints d’abandonner, et les ONG humanitaires peinent à accéder aux zones les plus touchées.
Le plus grave reste cependant le désespoir profond d’une population qui se sent abandonnée. Dans les rues désertes de Goma, beaucoup murmurent que Kinshasa a détourné le regard trop longtemps, préférant les querelles politiciennes à la défense nationale.
Un projet au long cours : pourquoi Kinshasa est peut-être la prochaine cible
Dans ses premières prises de parole publiques après la chute de Goma, Corneille Nangaa a déclaré que « la destination finale n’est pas Goma, ni Bukavu, mais Kinshasa, la source de tous les problèmes de ce pays. »
Une déclaration qui a immédiatement été interprétée comme une menace directe à l’État central. Le gouvernement refuse de négocier avec l’AFC. Des tentatives de médiation, notamment par le Qatar, ont été rejetées par Nangaa lui-même.
L’Est du pays pourrait donc n’être que la première étape. Et tant que l’impunité persiste, que les alliances secrètes perdurent, et que la communauté internationale se contente de déclarations diplomatiques molles, la RDC reste exposée à une déstabilisation plus profonde.
Conclusion : une guerre politique déguisée en insurrection
Le cas de Corneille Nangaa ne relève pas de la simple trahison. Il révèle une vérité plus dérangeante : la guerre à l’Est n’est pas seulement un conflit entre groupes armés. C’est une guerre politique, préparée de longue date, financée par des élites, et mise en œuvre au détriment des populations.
Goma est tombée parce qu’elle a été abandonnée. Et tant que les véritables responsables ne seront pas confrontés à la justice, la RDC continuera de saigner, dans l’indifférence d’un monde trop habitué à la souffrance congolaise.