Une main couvrant la bouche et l’autre pointant la tempe. C’est ainsi que l’attaquant franco-congolais Cédric Bakambu (Vitry-sur-Seine, France, 33 ans) exprime son indignation face au conflit qui ravage la République Démocratique du Congo (RDC). Lorsqu’il marque un but, il réalise ce geste symbolique pour attirer l’attention sur une tragédie ignorée par la communauté internationale. « La main sur la tempe représente la mort, pour montrer qu’on nous tue à travers cette guerre. Et la main sur la bouche signifie que personne n’en parle », explique le joueur du Real Betis lors d’une interview vidéo.
Un Engagement Profondement Ancré
Bien qu’il soit né et ait grandi en France, Bakambu se sent pleinement congolais. Ses parents, contraints à l’exil sous la dictature de Mobutu Sese Seko (1965-1997), ont veillé à transmettre à leur fils la culture, les traditions et la cuisine de leur pays d’origine. Depuis le 27 janvier, date de la prise de Goma par les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda, l’attaquant a intensifié son geste en signe de protestation à chaque but marqué. La dernière occurrence a eu lieu lors du match contre Vitoria Guimarães en Ligue Europa Conférence, le 6 mars.
Un Conflit aux Enjeux Géopolitiques et Miniers
Bakambu dénonce un conflit entretenu par des intérêts économiques et géopolitiques. Le sol congolais regorge de minerais stratégiques comme le coltan et le cobalt, essentiels à l’industrie technologique mondiale. Selon un rapport du Parlement européen, la RDC possède environ 60 % des réserves mondiales de cobalt et entre 60 % et 80 % du coltan. Pourtant, le Rwanda, qui ne dispose pas de ces ressources naturelles en grande quantité, figure parmi les principaux exportateurs mondiaux de ces minerais, souvent qualifiés de « minerais de sang ». Selon ce même rapport, au moins 150 tonnes de coltan seraient exportées illégalement chaque mois vers le Rwanda.
« Tout le monde sait ce qui se passe, mais préfère fermer les yeux. Des milliers de personnes meurent en RDC, mais ce qui compte, c’est d’avoir un téléphone portable. Personne ne se préoccupe de l’origine de ces minerais et des conséquences humaines de leur extraction », s’indigne Bakambu.
Des Discours Sans Actions
Le cessez-le-feu déclaré par le M23 le 4 février n’a duré que quelques jours. Les appels à la paix de la communauté internationale restent sans effets. « Un président peut bien faire un discours pour dire que la situation ne peut pas continuer, mais sans sanctions concrètes, rien ne change », regrette le footballeur. « Je ne suis pas un politicien, mais je peux utiliser ma notoriété pour alerter le monde sur ce qui se passe. »
La Fondation Bakambu : Une Aide Concrète pour les Victimes
Conscient de la chance qu’il a eue en France grâce au courage de ses parents, Bakambu a créé une fondation en 2019 pour venir en aide aux populations déplacées de Goma. Son organisation distribue des vivres, modernise les écoles et construit des abris temporaires pour les victimes du conflit. Avant la reprise des hostilités en janvier 2025, l’ONU estimait déjà à 700 000 le nombre de personnes réfugiées autour de Goma.
« Aidons Goma à se relever » était l’une des premières campagnes de la fondation, permettant d’assister 200 familles et 10 000 enfants. « Les gens ne réfléchissent pas à la politique ou au long terme. Ils veulent juste savoir où dormir, comment nourrir leurs enfants ou comment soigner un malade », explique Bakambu.
Des Défis Logistiques en Période de Guerre
Avec la prise de l’aéroport de Goma par le M23, la livraison de l’aide humanitaire devient un défi. La fondation Bakambu doit utiliser des routes alternatives, notamment en passant par Kigali, au Rwanda, avant d’acheminer les fournitures par la route. Pascal Safari, représentant de la fondation à Goma, décrit une situation « chaotique » marquée par les pillages. « Il faut intervenir urgemment dans les camps de déplacés, sinon nous allons vers une crise humanitaire sans précédent », alerte-t-il.
Selon l’UNICEF, le conflit a déplacé 6,5 millions de personnes à travers le pays, dont 2,6 millions d’enfants. Depuis le début de l’année, plus de 2 500 écoles ont été fermées, privant près de 800 000 enfants d’accès à l’éducation.
Face à cette tragédie, Cédric Bakambu continue d’utiliser son influence pour attirer l’attention sur la situation en RDC, espérant qu’un jour, son geste de protestation ne soit plus nécessaire.