Un tournant majeur dans la position congolaise
Alors qu’il avait toujours refusé tout dialogue direct avec le M23, qualifiant la rébellion de « pantin du Rwanda », le gouvernement congolais semble aujourd’hui revoir sa stratégie.
À la suite d’une rencontre entre Félix Tshisekedi et João Lourenço à Luanda, la présidence angolaise a annoncé ce mardi le lancement de contacts avec le M23, afin d’organiser des négociations directes entre Kinshasa et les rebelles.
« L’Angola, en tant que médiateur dans le conflit à l’Est de la RDC, va établir des contacts avec le M23 pour permettre des discussions directes à Luanda dans les prochains jours. »
— Communiqué de la présidence angolaise
Ce développement marque une rupture avec la ligne dure adoptée jusqu’ici par Kinshasa, qui privilégiait un dialogue avec Paul Kagame plutôt qu’avec la rébellion elle-même.
La pression diplomatique pousse Kinshasa à s’aligner sur la résolution 2773
L’annonce angolaise a suscité des réactions mitigées au sein de l’opinion publique congolaise, certains y voyant une capitulation après des mois de fermeté affichée.
Tina Salama, porte-parole du président Tshisekedi, a tenu à préciser que toute initiative doit s’inscrire dans le cadre existant, notamment le processus de Nairobi et la résolution 2773 du Conseil de Sécurité de l’ONU :
« Nous prenons acte de cette initiative et attendons sa mise en œuvre. Cependant, nous réaffirmons notre attachement au processus de Nairobi et à la résolution 2773. »
De son côté, Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement, a déclaré que cette médiation angolaise est conforme aux engagements internationaux et qu’une clarification sera apportée sur les modalités de mise en œuvre.
Un désaccord persistant sur la gestion du conflit
Ce tournant diplomatique intervient alors que le sommet conjoint SADC-EAC a récemment ordonné la fusion des processus de Luanda et de Nairobi, une décision que Kinshasa ne partage pas totalement.
La ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba, a plaidé pour un alignement des processus sous l’égide de l’Union africaine, plutôt qu’une fusion complète :
« Les processus de Luanda et Nairobi poursuivent des objectifs complémentaires. L’alignement sous l’Union africaine est la meilleure solution pour garantir la paix. »
Cette déclaration montre que la RDC reste prudente face à une médiation qui pourrait lui être défavorable, notamment si elle est perçue comme une imposition des puissances régionales.
La résolution 2773 au cœur des négociations
La résolution 2773 du Conseil de Sécurité de l’ONU, adoptée en décembre 2024, impose plusieurs exigences :
- Condamnation du Rwanda et du M23 et exigence de leur retrait immédiat du territoire congolais.
- Engagement de la RDC et du Rwanda à reprendre sans conditions préalables des pourparlers diplomatiques.
- Soutien aux initiatives de paix, avec un appel à une meilleure coordination des processus de Luanda et Nairobi.
Ce texte est désormais l’argument central de Kinshasa pour justifier son changement de posture, en insistant sur le fait que cette ouverture au dialogue répond aux engagements internationaux.
Kinshasa trop tardif dans son repositionnement ?
Certains observateurs estiment que le gouvernement congolais aurait dû définir sa position avant le sommet SADC-EAC, plutôt que de réagir après coup.
Le Dr Martin Ziakwau, expert en relations internationales, critique la fusion des processus de paix :
« Fusionner les processus de Nairobi et Luanda complique davantage la quête de paix. L’un repose sur une médiation bilatérale (Luanda), l’autre sur un cadre régional (Nairobi). »
Il recommande à Kinshasa d’intensifier sa diplomatie et de mieux structurer son approche dans les prochaines négociations.
Quelle réponse du M23 et du Rwanda ?
Malgré ses avancées militaires dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, le leader du M23, Corneille Nangaa, reste méfiant face à cette ouverture diplomatique. Il a souvent exprimé ses doutes sur la sincérité de Kinshasa, laissant entendre qu’il pourrait y voir un piège politique.
La suite des événements dépendra donc de la réaction du M23 et du Rwanda, mais aussi de la capacité de la RDC à imposer ses conditions, notamment le retrait du M23 des zones occupées avant toute négociation.
Kinshasa pourra-t-il transformer cette nouvelle donne diplomatique en victoire politique et sécuritaire ? La réponse se jouera dans les prochains jours.